Néon Magazine

Dimanche 10 février 2013

ACNÉ EXCORIÉE

RESSENTIR

Un jeune homme d’une vingtaine d’années, debout, torse nu. Dans le bas du dos, une grosseur qui semble être un méga bouton d’acné. Une main s’approche, deux doigts appuient de part et d’autre, provoquant l’expulsion d’un liquide blan châtre. L’intervention, filmée en gros plan, dure près de deux minutes pendant lesquelles on entend les cris horrifiés et les rires de la bande de potes qui assistent à la scène. Cette vidéo intitulée « Bacne. The biggest zit in the entire world » suscite un mélange de répulsion et de fascination et totalise plus de trois millions de vues sur YouTube. « Ça me dégoûte, mais je n’arrive pas à m’arrêter de regarder », se désespère un internaute. Chris Azzari, pour sa part, assume son engouement pour le zit popping (éclatage de boutons). Ce trentenaire américain a créé popthatzit.com, qui regroupe des centaines de vidéos. Il est persuadé que c’est un plaisir plus partagé qu’on ne le croit. Chris, qui s’enorgueillit de 200 000 visites mensuelles sur son site et 11 000 « j’aime » sur Facebook, publie ce manifeste : « Ne prêtez pas attention aux critiques. On a tous des manies honteuses, et il y a fort à parier que cette personne qui vous regarde avec dégoût adore se curer le nez en cachette. Alors, gardons la tête haute et continuons à faire exploser des boutons ! » La littérature scientifique aborde peu le sujet, si ce n’est pour décrire le trouble qui consiste à gratter ses boutons de manière compulsive jusqu’à abîmer sa peau (on parle d’acné excoriée), une affection souvent liée à une dysmorphophobie : ceux qui en souffrent voient leur acné pire qu’elle n’est. Ces cas nécessitent une prise en charge psychologique. Pour ce qui est du plaisir de presser les boutons chez le commun des mortels, les amateurs s’accordent sur l’effet relaxant de la pratique. Il y a cette tension qui monte, et puis ce liquide blanchâtre qui gicle… Olivier, 22 ans, évoque « un sentiment de soulagement, de libération. La pression qui se relâche d’un coup. » Il compare cette activité à ces petites manies qui procurent une étrange satisfaction : éclater le papier bulle, ôter des poils avec une pince à épiler… A la différence près que le triturage de boutons peut occasionner des infections et laisser des cicatrices. C’est pourquoi la psychologue Anne -Dorothée Taïeb Chapelon y voit l’expression d’une agressivité que l’on retourne contre soi, mais aussi le besoin de contrôler ce qui nous dépasse.

Céline, mère de famille de 48 ans, s’y est régulièrement adonnée sur ses trois enfants pendant leur adolescence. « Au départ, le but était hygiénique. Puis c’est devenu une sorte de rituel et un moment de complicité… Une façon différente de se faire des câlins, qui ne sont pas faciles à assumer quand on a 15 ans ! » Le perçage de boutons comme alternative aux câlins ? Cela fait penser à l’épouillage chez nos cousins les primates, qui consiste à inspecter la fourrure des congénères afin d’en ôter les peaux mortes et les parasites. Plus qu’un acte d’hygiène, c’est un moyen de resserrer les liens entre les membres du groupe. 

Pour Nadège, 26 ans, la satisfaction s’apparenterait même au plaisir sexuel : « Pour venir à bout d’un bouton, il faut le “travailler” un certain temps, il y a cette tension qui monte, et puis, soudain, ce liquide blanchâtre qui se met à gicler… » 

« Vous m’apprenez quelque chose ! » répond le dermatologue Ludovic Rousseau quand je le questionne sur cette connotation sexuelle. « Quoi qu’il en soit, le sébum contenu dans les boutons est une substance appartenant aux caractères sexuels tertiaires du mâle, censés provoquer une excitation chez la femelle. Le sébum véhicule les odeurs corporelles chargées de phéromones qui caractérisent le sexe d’un individu. » Le Dr Rousseau en profite pour donner un conseil : « Ce geste comporte plus de risques que de bénéfices et ne devrait être effectué que sur un bouton parfaitement mûr – avec une pointe blanche qui ne demande qu’à éclater, ou qui coule déjà. Il convient d’observer une asepsie stricte (lavage des mains, désinfection avec un antiseptique doux). Il ne faut pas appuyer dessus mais faire le geste d’écarter la peau pour laisser sortir le sébum, puis redésinfecter et mettre un pansement. »

Tant qu’à zit popper, autant zit popper safe…C’est bon quand ça sort Où l’on apprend pourquoi éclater des boutons est un plaisir, non dénué de perversité, voire un acte d’amour. Et pourquoi il faut aussi faire un peu gaffe.

TEXTE ANDREA OSTOJIC

 

Source : NEON MAGAZINE